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De la barbarie a la civilisation:

Convention de l'ONU contre le "génocide"

par M. le Professeur Raphaël Lemkin

NOTE: M. Le Professeur Lemkin, spécialiste bien connu du droit international, est le créateur du terme "génocide"; il a joue un rôle de premier plan dans la rédaction de la Convention adoptée par les Nations Unies a ce sujet. M. Lemkin, après avoir été conseiller des Nations Unies, enseigne maintenant le droit et to coutume des Nations Unies à l'École de Droit de l'Université de Yale, a New-Haven, dans l'Etat de Connecticut.

Écritures principales de Raphaël Lemkin sur Genocide

Guide rapide des séries

Introduction (anglais)
1933: Danger general (interétatique)
1944: Le règne de l'Axe en Europe occupée
1946: Le crime de génocide
1949: Convention de l'ONU contre le "génocide"

 

 

NEW-HAVEN, Connecticut. -- L'Assemblée générale des Nations Unies a adopte à l'unanimité, au cours de sa troisième session, une Convention internationale pour la prévention et le châtiment du crime du génocide. Ce nom désigne la destruction systématique de groupes nationaux, religieux ou raciaux.

La Convention a été accueillie par les populations du monde entier comme ouvrant une ère nouvelle. Et vraiment, à la lumière de la l'histoire des temps passés, moderne et présent, on doit convenir que la Convention est une nécessité absolue. On peut même dire qu'elle vient avec un retard de plusieurs siècles. 

La nécessité d'une telle loi se faisait déjà sentir après la tentative d'extermination des premiers chrétiens par les Romains, puis après que les Chevaliers Teutons eurent détruit des populations slaves entières et aboli tout vestige de vie dans certaines régions qu'ils avaient "colonisées", au nom de la Croix. Cette loi aurait du être passée après le massacre de près de 18.000.000 d'hommes, de femmes et d'enfants innocents par les Mongols. Elle s'imposait encore après que les Sultans de Turquie eurent arraché à leurs parents 1.000.000 d'enfants grecs pour détruire la courageuse nation grecque et sa vieille civilisation. 

Cependant, ce ne fut qu'après l'extermination de 1.200.00 Arméniens au cours de la première guerre mondial que les Allies victorieux promirent aux survivants de cet abominable massacre une loi et un tribunal adéquats. Mais il n'en fut rien.

Il ne serait cependant pas correct de dire que rien ne se passa, car il est impossible de faire un jeu politique de la souffrance humaine sans éveiller au moins quelques réactions. Le génocide impuni de la population arménienne eut une conséquence directe. En 1921, dans une rue de Berlin, un jeune étudiant arménien, dont la famille entière avait été anéantie par les Turcs, prit sa revanche sur l'ex-ministre de l'intérieur de Turque, responsable du massacre. Le jeune Arménien, Teliran, tua l'homme d'Etat turc, un certain Talat Pasha, qui s'était réfugié à Berlin après la guerre, et y jouissait de l'immunité accordée aux réfugiés politiques.

Le tribunal de Berlin qui jugea la cause fut si ému par le récit que fit Teliran de la tragédie et du deuil national de ses compatriotes, qu'il l'acquitta comme "irresponsable." Ainsi un homme, pour avoir agi au nom de la conscience humaine -- une conscience qui n'avait pas encore trouvé son expression juridique dans le droit international -- était déclare fou. Quelle ironie dans un onde soidisant civilisé

Et pourtant, la même ironie se manifesta de nouveau à Paris en 1927, quand un tailleur juif, Salomon Schwarzbart, tua un "réfugié politique", Petlura, qui avait été l'organisateur de nombreux pogroms contre les Juifs d'Ukraine, en 1918. La famille de Schwarzbart avait été massacrée au cours d'un pogrom, et l'unique survivant ne put supporter de voir le meurtrier de sa famille et de milliers d'autres jouir dans l'impunité des agréments de la vie parisienne. Schwarzbart se rendit à la police francaise et fut juge par un tribunal de Paris, qui l'acquitta . . .pour "démence" également. La conscience humaine, révoltée, voulait une loi contre le génocide, mais il n'en existait aucune. 

Après 1'extermination par Hitler de 6.000.000 de Juifs, de 2 millions 500.000 Polonais, de presque tous les Bohémiens d'Europe, d'innombrables catholiques et représentants d'autres religions, les criminels de guerre nazis furent enfin accusés et jugés à Nuremberg. A cette époque, de nombreuses plaintes s'élevèrent, du fait que le jugement des criminels ne reposait sur aucune loi existante, et beaucoup de personnes férues de légalité se plaignent encore aujourd'hui du fait que les criminels aient été juges à partir d'une rétroactive. Il est bon de remarquer, cependant, que les jugements de Nuremberg n'ont pas apporté une solution complète au problème: en effet, les criminels n'ont été châties que pour les crimes commis pendant la guerre, ou en raison d'une guerre d'agression. 

La question primordiale de la protection des groupes humains menacés en temps de paix restait ouverte. C'est pour cette raison que les Nations Unies ont du intervenir dans la jungle des relations humaines et proclamer au monde que le génocide constitue bien un crime au regard du droit international. Pour que cette Convention entre en vigueur, il faut encore qu'elle soit ratifiée par un minimum 20 Nations Membres des Nations Unies.

En ce moment même, les parlements australien et norvégien discutent les articles de la nouvelle convention, et l'on peut espérer la ratification officielle de ces deux Gouvernements à bref délai. D'autres gouvernements suivront bientôt car la Convention a été soumise, ou le sera incessamment, à de nombreux parlements pour ratification.

La Convention s'appuie sur un puissant mouvement d'opinion. Elle est fondée sur une résolution présentée en 1946 par Cuba, l'Inde et Panama, pays qui peuvent à juste titre se montrer fiers de leur initiative. M. Herbert Evatt (Australie), Président de la troisième session de l'Assemblée générale des Nations Unies, tenue à Paris en automne dernier, a reçu une pétition en faveur de la Convention, portant les signatures, de 168 organisations représentant plus de 240.000.000 de personnes de 30 pays. La pétition émanait de groupes représentatifs de toutes les religions -- catholiques, protestants, musulmans, bouddhistes, israélites, et autres -- et de tous les états de la vie courante -- travailleurs, patrons, groupes civiques, organisations économiques et chambres de commerce. Tous sont unis dans ce mouvement pour mettre un terme à la sauvagerie.

A la clôture de l'Assemblée, M. Evatt a demandé instamment à toutes les Nations Membres des Nations Unies de procéder sans tarder à la ratification de la Convention. Le monde entier, et en particulier les amis des Nations Unies, espèrent que lors de la prochaine session de l'Assemblée générale, a New-York, en septembre, le Président pourra annoncer que, la Convention sur le génocide a pris force de loi, Ainsi sa manifestera la volonté des hommes de substituer une fois pour toutes la loi du monde civilisé à celle de la jungle. 

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Prochain élément de la série:

Danger general (interétatique) Raphaël Lemkin, 1933

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16 juin 2000
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